Chères lectrices, chers lecteurs .
Voici la troisième lettre de cette année sur le thème : "Soyons Espérance".
Nous vous proposons divers textes et témoignages pour alimenter votre réflexion.
L’espérance en des jours meilleurs depuis la nuit des temps a provoqué la migration des populations.
Tel est le fil conducteur de cette lettre.
En 1910, l’écrivain espagnol Blasco Ibañez publie un ouvrage intitulé "Argentina y sus grandezas". Le premier chapitre a pour titre "Con rumbo a la esperanza", c’est-à-dire "Cap vers l’espérance" , en voici un extrait :
"L’Europe perd chaque année une partie de sa population, en nombre insignifiant par rapport à la grande masse humaine qui habite son sol, précieuse pour les initiatives énergiques et le courage dont elle fait preuve en quittant la patrie pour se diriger vers l’inconnu.
Chaque semaine, d'immenses navires quittent ses côtes, crachant de la fumée sur les solitudes bleues infinies, le ventre concave plein de chair humaine, souffrant, tressaillant, rêvant ou frissonnant avec les mirages intérieurs de l'espérance. Ils viennent des quais givrés et des mers brumeuses de la Baltique, des ports anglais noirs de poussière de charbon, dans l'atmosphère grasse desquels semble se répandre un vague parfum de thé et de tabac à l'opium ; des côtes de la France océanique, qui oppose ses bancs vivants de coquillages et les sombres forêts de pins de ses landes, aux assauts rageurs du féroce golfe de Gascogne ; des baies espagnoles, immenses coupes d'un bleu serein, sur lesquelles les goélands tressent et détressent leurs volutes blanches, comme effrayés par le cri intempestif d'une grue ou le meuglement d'une sirène...
Ils sont arrivés comme un filet de pauvreté et d'espoir ; différentes races, différentes naissances, confondues par la pauvreté, entraînées par l'aventure...
Buenos Aires, dont le nom se confond avec celui de tout le pays argentin dans l'imagination simple de beaucoup de gens, signifie la fortune grâce au travail.
Buenos Aires ! Ce nom fait rêver les désespérés."
Quelle puissance mystérieuse fait circuler ce nom dans toute l'Europe ?
Il aborde le thème de l'émigration. Du port de Bayonne, de nombreux Basques sont partis pour l'Amérique latine, pleins d'espoir. Le quai de Montevideo reste un vestige de ces Basques que l'on appelait "ceux de Bayonne" à leur arrivée.
L’espérance en des jours meilleurs a fait bouger et fait bouger de nombreux peuples au cours de l’histoire, pour des diverses raisons : économiques, politiques, persécutions.
Maïté Irazoqui a étudié la vie de cette femme, exclue et promise à une mort certaine avec son fils Ismaël. Elle nous propose ce texte intitulé "Dieu habite le désert". Comme pour le Père Cestac, la prière et sa confiance en Dieu furent source d’espoir.
Une femme, une servante, est devenue mère pour que son maître ait un fils ; puis elle est renvoyée avec ce fils, par ce même maître devenu père. Cette femme s’appelle Agar, son maître s’appelle Abraham, leur fils s’appelle Ismaël. Mère et fils partent vers l’inconnu, dans les sentiments liés au renvoi, au rejet, à la dépossession.
Le texte du livre de la Genèse dans la Bible, au chapitre 21, dit ceci :
"Abraham se leva de bon matin, il prit du pain et une outre d’eau, il les posa sur l’épaule d’Agar, il lui remit l’enfant, puis il la renvoya. Elle s'en alla errer dans le désert de Bershéba.
Quand l’eau de l’outre fut épuisée, elle jeta l’enfant sous un buisson, puis alla s’asseoir non loin de là, à distance d’une portée de flèche. Elle se disait : « Que je n’assiste pas à la mort de l’enfant ». Assise à l’écart, elle éleva la voix et pleura.
Dieu entendit la voix du petit garçon ; et du ciel, l’ange de Dieu appela Agar : « Qu’as-tu, Agar ? Sois sans crainte, car Dieu a entendu la voix du petit garçon, là où il est. Lève-toi ! Relève l'enfant et tiens-le par la main, car je ferai de lui une grande nation. » Alors, Dieu ouvrit les yeux d’Agar, et elle aperçut un puits. Elle alla remplir l’outre et fit boire le garçon.
Dieu fut avec lui, il grandit et habita au désert, et il devint tireur à l’arc. Il habita au désert de Parane, et sa mère lui choisit une femme du pays d’Égypte."
Mère et fils vont errer dans le désert. Ils n’ont pas de but, sauf peut-être celui de vivre. Mais vit-on dans le désert, ce lieu inhospitalier car pauvre en eau ? L’eau est indispensable à la vie comme l’air que l’on respire. D’ailleurs le récit le dit bien : "Quand l’eau de l’outre fut épuisée, elle jeta l’enfant sous un buisson". L'épuisement de l'eau provoque le geste de désespoir : "Elle jeta l'enfant", mais son discernement demeure puisqu'elle choisit le lieu "sous un buisson", celui qui peut donner ombre et protection, et le fait de "jeter" ne signifie pas qu'elle se désintéresse de l'adolescent redevenu enfant dans cette scène, mais qu'elle est à la limite de ce qu'elle peut faire en tant que maman donneuse de vie. L'épuisement de l'eau source de vie signifie la mort qui est la séparation inéluctable. Agar sait que la mort va emporter son fils. C’est le point culminant de sa détresse : "Que je n’assiste pas à la mort de l’enfant", s’écrie-t-elle. Et Agar, maman, agit encore en usant de son dernier recours : "Elle éleva la voix et pleura". Cette expression désigne l'immense peine, la supplique et la remise totale à autre que soi. C’est l’abandon dans le sens de laisser la place à un autre, c’est le passage de relais. Actuellement on parle souvent de "lâcher prise".
Et Dieu entend.
Dieu est celui qui entend la voix qui n'a pas crié, la voix du plus faible, la voix de celui qui est la raison de vivre d'Agar. Par un jeu très subtil d'écho, la voix d'Agar devient la voix du garçon aux oreilles de Dieu. Dieu ne sépare pas la mère et le fils dans cette situation extrême, point névralgique de la détresse maternelle. Au contraire, il s'empresse de rassurer la mère : "Sois sans crainte, Dieu a entendu la voix du garçon là où il est". Agar a élevé la voix, et Dieu agit. Il agit immédiatement, à propos, de façon complète et adaptée. Il sollicite Agar pour qu'elle aussi agisse. Il la confirme dans son rôle de mère : "Lève-toi, relève l'enfant, tiens-le par la main". Les demandes de Dieu ne sont ni extraordinaires, ni hors du commun mais font changer le regard : "Dieu ouvrit les yeux d'Agar". Le Dieu qui voit ouvre les yeux d'Agar puisqu’elle aperçoit une source. Il lui donne "les moyens de sa mission" dirions-nous actuellement.
Ce changement de regard introduit un nouveau départ et donne une perspective. Il n'efface pas le passé, il ne supprime pas la réalité du désert ; il donne l'assurance de la présence de Dieu. "Dieu fut avec le garçon", et l’Espérance est là.
Sœur Louisette Etchart témoigne...
Répondant à un appel du Conseil Départemental, l’Association Mission Père Cestac a ouvert et organisé un "Dispositif d’Accueil des Mineurs Non Accompagnés". Depuis 2019, des lieux et diverses structures sont offerts aux Migrants Mineurs Non Accompagnés. Ainsi les locaux de Latchague accueillent une quinzaine de migrants dans la section P. A. O. (Pôle Accueil Orientation).
Des jeunes évoquent non seulement "leur voyage", mais surtout leurs désirs et leur avenir. Voici quelques-unes de leurs expressions :
"Quand je pense à mon avenir, la vie est un livre à bâtir. J’ai envie de courir sans m’arrêter, de devenir footballeur… Tout le monde va me regarder à la télé ! Après je veux retrouver mon pays natal… Si je veux avoir un avenir, je dois passer par quelqu’un pour réussir. Pour réussir : respect, intégrité, dignité !"
"J’ai envie d’étudier, de réussir dans ma vie… Et de revoir ma mère. Long, long le voyage : Guinée, Mali, Algérie, Maroc, et puis la mer, l’Espagne… Aujourd’hui je suis en France, je veux réussir, et retrouver ma famille."
"Je veux être soudeur ! C’est mon rêve. J’ai confiance pour y arriver ! Début août, j’ai commencé mon voyage vers la France, et les ennuis ont commencés… Mais tout ça pour vivre, pour avoir une vie plus ‘confortable’, avoir une maison, une famille. J’ai commencé à étudier, à apprendre le français, je veux continuer, terminer mes études…Travailler, travailler pour réussir mes rêves."
"Je veux devenir carreleur ou plombier ; j’aime ces métiers ! Je ne me découragerai jamais, car je veux retourner en Guinée pour revoir Maman, elle me manque beaucoup !"